Bulle me dit que d'avoir un père depuis si longtemps, peut induire cette idée : les parents sont éternels. Je comprends la douleur de ce point de vue. Pourtant je ne suis pas sure de la justesse de ce sentiment. Quelques soient nos croyances religieuses ou philosophiques, la mort peut-être théorisée, idéalisée... la seule réalité tangible, c'est l'absence, l'insupportable et incompréhensible néant.
S'il est possible de hiérarchiser le deuil, la perte d'un enfant me semble la plus incommensurable douleur et la plus absurde, papa l'a subie.
Il y a le poids terrible des images et des souvenirs, il y a aussi heureusement la communion du rire au travers de nos larmes... le rire de la tendresse, le rire de l'empreinte qui construit et procure à l'absent cette vie éternelle dont nous sommes si avides.
Nous sommes dépositaires de racines, il faut en prendre soin pour nous nourrir, avec tendresse et sans appréhension, uniques et solitaires, nous sommes tous utiles, nécessaires, indispensables à l'harmonie humaine. Nous sommes condamnés à perpétuité...
À propos d'harmonie, les genoux de Granpé ont accueilli la plupart d'entre nous pour nous bercer, nous amuser, nous accueillir au son de chants tendres, mélancoliques, drôles ou improbables...
Il en est un qui me hante en ce moment, j'entends sa voix et celle de tant d'autres avec lui :
C'est moi l'coco du Colorado,
l'as du Browning et du couteau,
à ch'val toute la nuit
sur le tiroir d'la tabl' de nuit,
sans pousser un cri,
dans l'hôtel garni,
j'attaque les fourmis dans la sierra,
j'écrase les punaises entre mes doigts,
c'est moi,
le roi,
des cow-boys américains!
Tin rrin tin tin!