jeudi 12 février 2009

Funérailles manquées


Funérailles manquées









J'attendais, ma fille allait sortir, bousculée et circonspecte : dans la foule des parents, où serais-je? Serais-je à l'heure?

J'habite ce quartier depuis vingt-six ans et connaissais nos voisins, de vieilles gens surtout, dont le passé se déclinait souvent avec celui de mes beaux-parents. Mais le temps emporte les uns et amène des changements de vie qui nous éloignent. Je ne connais plus grand monde, et malgré ma curiosité naturelle, je ne provoque pas les rencontres, me complaisant dans un rôle d'observateur.

J'attendais donc, la sortie de l' école, le joli minois de ma fille, j'écoutais les conversations éparses, attardant mon regard sur un profil, un geste, la danse des enfants déjà sortis de la maternelle ou encore rentrés nulle part...

Mon attention paresseuse grappillait sans but, lorsqu'un groupe de trois dames, ni très âgées, ni très jeunes discutant à voix basse me stupéfia. Elles étaient à cinquante centimètres, avec des airs entendus elles parlaient de moi, de ma vie, avec ses évènements, anecdotes, bonheurs et malheurs... vrais ou faux... sans réelle médisance, mais avec l'assurance de vieilles connaissances, j'ignorais totalement qui elles pouvaient bien être.

Je pense qu’il arrive souvent, et à tout le monde, d’entendre interpréter ses faits et gestes avec plus ou moins d’exactitude, lors de discussions amicales autant que lors de disputes ? Nos vies sont assez complexes et les sentiments qu’elles engendrent si variés, que des points de vue différents peuvent se confronter sur le même sujet, sans avoir besoin d’y rajouter la mauvaise foi des inévitables conflits privés. Qu’on nous prête des actions, des sentiments, à l’usure des intérêts de chacun certes, c’est banal. Mais, tout de même, entendre d’illustres inconnus revisiter votre vie comme des experts, alors même qu’ils parlent d’épisodes intimes de votre existence, ce ne doit pas être si fréquent.

Mon premier sentiment fut de me présenter à elles, mais la curiosité (et peut-être encore un peu anesthésiée par la surprise), m'empêcha de bouger. J'essayais de capter leurs regards, arrivais même à leur sourire deux ou trois fois, sans qu'aucune d'elles ne me reconnaisse.

Malgré leurs longs palabres, destinés en apparence à déterminer mon état mental, elles ne m'avaient jamais vue... Ensuite, je m'engourdis dans un frisson de panique, ce passé décortiqué par des étrangères me rappelait singulièrement les discussions autour des pauvres dépouilles que j'avais accompagnées à leurs funérailles.

Le soupçon de mon passage incognito au statut d'ectoplasme me frappa, jusqu'au moment où un projectile chaud et doux me bouleversait aussi, mais celui-là me ramenait au monde des vivants, de la tendresse et du quotidien. J'abandonnais mes Parques et embrassais ma fille pour partir vers de nouvelles aventures.



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