mercredi 4 février 2009

Sur la plage, abandonnée...

Sur la plage, abandonnée...


















Mon bel amant et moi, nous recomposons à fond les ballons...

Nous avons trois filles, non que nous soyons racistes, pour ma part s’il y a tout le petit matériel nécessaire autour d’un sexe, j’accepte tout ce qui bouge ! Mais le destin en a décidé ainsi ; il a sa fille, de bientôt huit ans : Louise dite «Louloute » pour les intimes, les miennes se prénomment Bulle et Ambre, ont respectivement 20 et 10 ans et supportent avec philosophie les surnoms improbables dont je les affuble, genre Bulbullinouchette, Ambrounette, quand je ne mélange pas leurs prénoms gaillardement.

Je navigue à vue dans une position précaire et lui nous accueille dans le provisoire d’un studio meublé à deux pas de la mer...


J’ai vécu ma prime jeunesse dans les odeurs d’iode, d’eucalyptus et de lauriers roses, si plus tard j’ai habité à l’intérieur des terres, dans celles des iris et des lilas, à un kilomètre à vol d’oiseau de la mare nostrum, je n’ai jamais pu tenir plus de quelques mois éloignée du bouillon de culture.

Non que j’aime à me prélasser au soleil, ou pire à salir ma peau diaphane là où les poissons font pipi et plus si affinité, il ne sont d’ailleurs pas les seuls... mais j’ai besoin de sentir que les jeux de lumière, les caprices liquides attaquant sans fin la brutalité des matières, me soient accessibles en permanence, pour bercer mon âme ou la pétrifier de terreur divine selon le temps et mon humeur.


Et puis ma ville est toujours surprenante, si elle n’arrive pas vraiment à être belle, les multiples errances que je me suis permises dans ses murs, sont jalonnées d’amitié, de sourires fugaces ou de trésors, même dérisoires.

Tout ça pour vous dire que la mer m’est nécessaire et qu’elle m’accompagne depuis bientôt 50 ans.


Aussi, ce petit logement au bord de la plage me ravit et je sévis sur son sable avec les enfants. Comme je me pique de multiples talents (bé voui !), il m’arrive d’en être l’attraction, ainsi la fois où avec Ambre nous avons joué aux équilibristes, moi servant de support et elle grimpant sur mes genoux, mes épaules, mes pieds, pour admirer les vagues et me prévenir des moindres débris flottants, j’étais le bateau, elle, la reine Christine.


Mais là où nous fîmes fort, c’est lorsque nous déterrâmes une momie !

Mon passé lointain d’étudiante aux Beaux Arts me permet de plastronner en utilisant n’importe quoi pour représenter sommairement n’importe qui. Aussi creusant le sable en lui conférant la stature d’un gisant exotique, j’attirais à moi les petits enfants, auxquels j’expliquais que ce n’était pas une œuvre artistique, mais bien un travail d’archéologue chevronné mettant au jour la momie d’un roi égyptien.


Egaré sur nos côtes à la suite d’une tempête, il mourut du désespoir de n’avoir plus les moyens de revenir chez lui. Sa suite, dévouée, l’avait honoré et enterré là, par le plus grand des hasards.

La nouvelle fit le tour de la plage et les curieux goguenards vinrent admirer mon ouvrage. La qualité intrinsèque d’icelui étant la superbe, des éloges mérités et néanmoins chatouilleux me furent prodigués par les adultes.


Quelques dames me fournirent de quoi alimenter ma légende en me demandant si ce n’était pas moi qui sculptait le sable à Saint Raphaël et j’en demande pardon à cette personne mais je finissais par m’attribuer son travail, ainsi que des voyages laborieux au Tibet pour sculpter le glace et encore participer aux célèbres happenings de New-York à base de bubble gom... ?


Ma cadette était critique et perplexe au début de cette action, elle reconnaissait bien là l‘incapacité maternelle à la seule occupation qu’on lui demande : bader sa fille et la servir en toutes circonstances, quoi de plus normal.

Mais la curiosité et la sympathie manifestée par les badauds pour mon œuvre magistrale piquèrent sa vanité. Elle me faisait même les yeux doux, marquant son territoire en m’interpellant sous des prétextes anodins, mais avec un ton presque révérencieux, c'est-à-dire qu’elle ne m’aboyait pas d’ordres comme à l’ordinaire.


Je triomphais modestement : l’air blasé de celle qui le mérite !

...Puis ce fut la catastrophe : un ignoble bambin (sans doute issu d’une famille de pirates, éduqué par des parents permissifs et démissionnaires(j’ose à peine y penser seraient-ce des soixante-huitards ?), contemplant mon chef d’œuvre d’un air dubitatif me posa d’une voix molle et ennuyée la question qui m’occit. : « Et tu les a pas fait, les bandelettes ? »

L’air stupide, la galéjade déglutie, le corps affaissé sous le poids d’un dam aussi vaste et profond que l’horizon était sublime et soudain muet, j’écoutais les gloussements gênés de mon aréopage.

Heureusement, pendant ce moment de grande solitude, ma fille vaquait à quelque course dans les rochers, ce n’était pas la Bérézina, mais certainement plus Iéna !


Profitant de l’inattention d’Ambre, je me drapais dans mes lambeaux loqueteux de dignité et battais le rappel, perfide, en marmottant le mot « goûter ».


Etait-ce sous l’impulsion d’une vengeance mesquine, lorsque plus tard mon tendre ami rentra du travail, je lançais finement qu’une momie avait été exhumée sur la plage. Je suis toujours sûre de pouvoir compter sur la vilenie et la noirceur de l’âme de mes filles, c’est moi qui les ai éduquées :


Ambre insista, enthousiaste, et nous voilà à nouveau complice, exultantes, bras dessus, bras dessous, traînant ce pauvre homme vers un destin de désillusion.


Bon, il n’était pas vraiment convaincu, mais m’accordait assez de désinvolture pour décider d’ignorer la différence entre une momie et quelques fossiles somme toute assez fréquents dans notre région.

Les abords déserts confirmèrent sa première impression, et son regard condescendant effleura les pauvres restes de ma besogne, un peu érodés, mais surtout dégradés par quelque iconoclaste dont je ne jurerais pas qu’il soit un petit garçon à l’esprit étroit, scélérat, vil, médiocre, sordide, malfaisant, brutal, malveillant, fielleux et vilain !


A ce regard désabusé, je reconnus enfin l’étendue de ma défaite, la merveille qui naquit de mes petits doigts de fée, n’était, somme toute, que l’expression de toutes mes velléités...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire