jeudi 12 février 2009

LFMNH


LFMNH

J’suis la poubelle de l’ouest... ou de l’est ?



Nous sommes en juillet 2006, je travaille comme Madame Caca dans le plus grand bâtiment de l’hôpital.

Dès 5 heure du matin, il fait chaud, on dégouline, et c’est plus avec notre sueur, qu’avec les produits homologués que l’on passe la serpillière.

L’action se confond à l’essoufflement, les produits agressent le souffle, les espaces sont étroits, naturellement encombrés de chaises, de poubelles dans une touffeur moite et nauséabonde ; les tempes battent, les jambes sont lourdes, il n’y a que la peau qui se gondole dans les gants de plastiques glougloutant... C’est grave Docteur ?

Bref, le top !

Dans cet environnement naturel si délicat, celles de ces fameuses ASH pas très fines, rajoutent souvent un comportement pataud et intempestif à leur incurie naturelle. Ainsi, l’une d’elles à l’avant-veille de ses vacances, s’était malencontreusement avisée de l’état de décomposition avancé d’une énorme poubelle blanche, de l’admirable capacité de 200 litres au moins, que dans un bel effort, elle décida de nettoyer.

Jusque-là, rien de très grave, mais le poste de travail réservé à cet effet lui semblant trop exigu, ne voilà-t-il pas que la belle enfant (quarantaine d’années, modèle Panzer), s’imagine, dans un état d’aberration avancé, que la douche des patients est plus confortable et mieux destinée à recevoir cet objet d’art que son lot habituel de corps souffreteux !

Je sais bien que sans malades on pourrait faire de cet hôpital un endroit très agréable pour un labeur très simplifié, mais j’ai tout de même comme un doute quand je découvre ce capharnaüm de douze mètres carrés : des portes ouvertes sur deux trônes déchus et sordides, le couloir décoré de traces de glissades séchées dans leur élan, un tabouret, une chaise, une bassine, une vasque maculée de sang et enfin dans l’une des deux douches affectées au vingt chambres du service, reposant délicatement sur un drap encore mouillé, la poubelle étincelante et triomphale !

J’ai naturellement tendance, sous des dehors débonnaires, à bouillir d’un coup et à péter les plombs de manière généralement très artistique ou très sournoise, selon le point de vue.

Mais au dessus de 35 degrés, je ne réponds plus de rien et lors ma vindicte s’exerce avec un aveuglement têtu de rage.

Je me fis donc les réflexions suivantes (à la vitesse accélérée d’un petit proton pas encore adulte : j’ai 47 ans, mais mentalement, je fais toujours très jeune) :

Ø Le « local à déchets » affecté à ces travaux est plus grand, mais cette charmante donzelle devait considérer que les patients et la nunuche de l’entreprise de nettoyage n’avaient d’autre chose à faire que d’attendre sa bonne volonté.

Ø Que pour laver une poubelle, il lui était nécessaire d’utiliser plus de draps et d’eau que les soins aux personnes de son service n’en réclamaient dans le même temps.

Ø Que dans la nuit, pour pouvoir glisser un pied dans les chiottes, d’aucuns avaient du mettre en péril non seulement leur équilibre, leur dignité, leurs reins fatigués, mais aussi leurs relevailles !

Ø Qu’en dehors de certain contexte où l’on dispose d’un partenaire, je n’ai jamais été bonne pour le contorsionnisme.

Ø Qu’une action énergique était nécessaire, malgré mon corps fatigué par déjà 3 heures de ce travail ingrat et mon moral attaqué.

Ø Quoi qu’il arrive, je nierais tout !

Ø Le feu, la poudre ? Fait trop chaud.

Enfin ! mon gentil petit lutin trouva la solution :

Ø Poubelle = Assistant (je vous fis part dans un autre chapitre de mes interrogations sur l’adéquation de l’aménagement des bureaux des médecins et leur grade ou leur ancienneté. à ce propos, je vous parlais de cet assistant oublié de Dieu, des hommes et même des femmes de ménage, dont je présumais les fonctions de mousse dans ce Bagne Féroce...)

Ø J’allais affecter la folie douce et la poubelle à des fonctions plus pertinentes, au mépris des diverses institutions représentées dans l’action et observer les conséquences avec la plus grande ingénuité.

Tout ça en une nanoseconde ! Suis-je intelligente et mutine !?!

Ainsi, sans me cacher le moins du monde, je pris en poids l’objet du délit et le changeais de service et d’emploi !

Faut bien avouer que dans ce dénuement zen, cette expression triomphante de notre société de consommation faisait un peu tache, mais c’était pour en éviter, des tâches, non ?

Continuant benoîtement mon travail, avec l’aisance bovine d’une expérience déjà ancienne, je grimpais de service en service, étage en étage, de touffeur en moiteur... Arrivée au troisième, ultime destination, ne voilà-t-il pas qu’une dame très aimable et néanmoins inquiète me demande si c’est moi qui ait travaillé au service X, à quoi je lui réponds d’autant plus naturellement « oui », que le Golgotha des Gogues, célèbre démon ergophage, avait tiré la chasse sur ma cervelle liquéfiée. J’en avais oublié l’incident.

C’est avec un pincement de pitié que je compris alors la situation : ma pauvre victime cherchait désespérément sa poubelle, objet transactionnel entre elle et la réalité, entre le monde sensible et celui des terreurs diurnes.

Qu’allait-on penser d’elle, de ses capacités (y compris natatoires ?), son efficacité, SA NOTE ????

Pour son dernier jour de travail avant les vacances ?

Son air perdu me toucha d’autant plus que cette dame avait finalement toujours été aimable... je faillis craquer. Malheureusement pour elle, les avanies de ces derniers jours dans ce service ressurgirent aussi dans ma mémoire, et la rassurant tout de même sur sa santé mentale, je lui dis une partie seulement de la vérité : cet objet encombrant était bien là à mon arrivée, mais pour plus d’efficacité, je l’avais sorti dans le couloir. Point.

Secouant sa courte chevelure blonde sur l’incompréhensible méchanceté des hommes, elle repartit vers de nouvelles aventures... j’espère toutefois que ses vacances, sans être gâchées, seront parfois perturbées par de vagues doutes informulés ?

Et puis comme ce brave Jules (Renard) disait de la charité : « hypocrisie qui donne dix sous d'attention pour recevoir vingt francs de gratitude. », je n’en ai sûrement pas fait le vœu, mais je vis dans la pauvreté, alors pourquoi se gêner ?

J’allais être amenée à la revoir ce jour là, elle bassinait son surveillant avec l’histoire de la poubelle ectoplasmique et demanda même ma confirmation à ses propos, que je donnais généreusement, comme mon tempérament pacifique et gentil me le commandait*.

Tempérament dont les effets sur le pauvre petit assistant émerveillé et reconnaissant commençait à titiller ma curiosité : allais-je découvrir dans ses pénates un autel à la gloire du bon génie qui le dotait ainsi d’une respectabilité que ses collègues moins bien dotés allaient lui envier ?

Subsidiairement, je m’avouais qu’une enquête succincte suffirait à me démasquer, mais mon inaltérable foi en mes capacités oratoires et mon incapacité mentale patente me protégeraient de trop gros enquiquinements, oh et puis si on peut plus rigoler ?

Toutefois, le doute me vint que l’innocent bénéficiaire de mes facéties pourrait en être incommodé, et je m’inquiétais quelques jours pour lui, espion spectral (enquêtes, filatures, recherche de preuves, d’héritiers, de témoins ou de personnes disparues, à pas cher...), sans remarquer pourtant de remous notables dans les deux services incriminés...

Enfin, vint le jour où je devais fournir mon efficiente sollicitude à son petit nid douillet ; J’ai déjà parlé des problèmes de clés avec ces p.... de portes, aussi ne fus-je pas surprise des difficultés que j’eus à ouvrir. Pourtant au moment fatidique un pincement au cœur me prévint de l’incroyable : il était chez lui, lui que je me représentais malingre et timide, pétri de reconnaissance... est un jeune taureau narquois, sans aucun doute suffisamment subtil pour avoir compris mon trafic mais pas assez pour ne pas l’avoir attribué à ses atouts virils !

Eh, merde !

« J’t’en foutrais de la reconnaissance », n’a pas été prononcé, mais c’est tout comme....

Avec certitude, on peut remplacer le mot « jument » par celui de « poubelle » dans ces vers de Tristan Bernard, pour résumer la situation :

L’Amazone passait. Sur le bord de la route,

Un centaure « y pensait », des plus visiblement...

Lors, l’Amazone triste et qu’assaille le doute :

Est-ce à moi qu’il en veut, ou bien à ma jument ?

Je vais tout de même glisser un billet anonyme sous sa porte, pour vérifier s’il a bien compris ou... semer de nouveaux doutes sur l’identité de la coupable.


« Pour un toubib, vous semblez ignorer singulièrement votre manque de rate, en effet, je vous offre une magnifique poubelle qui vous permet au moins de réclamer le grade d’Amiral d’Escadre, et vous ne m’invitez même pas à boire une mousse au troquet du coin !?! »

Pourvu qu’il se ruine en invitant tout l’hôpital... à suivre...



Entre Bacchus et fragment de caducée, mon cœur ne balance pas...

A la mienne !

Nous sommes aujourd’hui en octobre, me demandez pas la date, c’est indiscret et je n’en sais fichtre rien, je viens de remarquer que mon assistant vient de parvenir au rang de chef de service ou c’est fait virer par celui-ci, comme la plaque sur sa porte l’indique.

Peut-être aussi, naguère indifférent à ses titres, un environnement plus chic l’a-t-il décidé a mettre en valeur ses hautes fonctions ?

Grandeur et misère de l’incertitude ! En tous cas, la poubelle est toujours là et les menues affaires de l’autochtone semblent fortement ne pas avoir changé, mais là-dessus ma discrétion ne reflète qu’une indifférence polie au harnachement de ces messieurs et dames ; seuls m’intéresse les fumeurs que j’invective mentalement (par pure jalousie) lorsque je « fais » leurs bureaux, mais, complice, dont j’essaie de masquer l’odeur tabagique dans cet hôpital qui devance les lois et interdit toute consumation.

Bref, ce récit se termine sans gloire particulière, mais allez, comme le notait si finement Alphonse, « l’Homme est plein d’imperfections, mais on ne peut que se montrer indulgent si l’on songe à l’époque où il fut créé !... ".

20 novembre : Il a le téléphone !... Tout de même, sa vie change luxueusement, calmement et voluptueusement ! Qui pourrait bien m’offrir une poubelle ?

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